*Estelle Bordaçarre
La démarche artistique d’Estelle Bordaçarre est une tentative de mise en jeu du je, d’un je qui serait l’ autre. L’autre fou, l’autre moi, l’autre en soi. Elle tend le miroir pour en inverser l’image. Et pose la question de l’identité, singulière, et collective. Sa ligne esthétique s’inscrit dans le jeu du chœur et des corps en mouvement.
Source de son travail
Les techniques corporelles
- Le mime corporel
- La danse butô
- Le théâtre corporel.
- Le théâtre de la choralité
- Le clown
- La marionnette
- Le masque
Source de sa réflexion
Les artistes
- Tadeusz Kantor
- Pina Bausch
- Bertolt Brecht
- Zouc
- Jacques Tati
- Etienne Decroux
- Jacques Lecoq
- Samuel Beckett
J’utilise la danse butô en tant que démarche d’apprentissage et d’ouverture à la question de l’état et de la présence. C’est une plongée en soi, une mise en éveil de ses propres sensations et images. Une mise en accord entre soi et le monde vaste.
J’utilise le mime corporel comme outil de conscientisation de la mécanique corporelle. Il est une démarche plus mécaniste du fonctionnement du corps, de ses articulations, de ses muscles, de ses directions, de ses capacités rythmiques, de ses dynamiques intrinsèques. Associé au buto, il fait le lien entre un instrument (le corps), et ses matières (imaginaires).
Ils font l’association d’un corps qui pense et d’un corps qui se souvient.
Choralité
Estelle Bordaçarre s’intéresse au théâtre de la choralité, cette forme nouvelle d’un théâtre qui serait celui d’un chœur sans héros. Toute sa recherche consiste à développer un travail sur l’état de présence individuelle, et sa mise au profit d’un chœur collectif.
Elle propose de développer l’ouverture à soi, à l’autre et au public et ainsi faire naitre chez l’autre le sentiment de « l’être ensemble ». Ses exercices ont traits au regard, à l’écoute, la concentration, la lenteur, la mémoire sensorielle, l’espace, le partage de la parole et du mouvement, le jeu collectif, l’expression corporelle.
Mes objectifs : savoir maitriser son principal outil de travail : le corps. Et savoir le mettre en résonnance permanente avec l’espace et le corps de l’autre, le partenaire.
Le Je de l’autre
Le principe de la choralité pourrait se définir par cette phrase : « Comment être ensemble tout en restant singuliers ? ».
C’est un travail qu’elle aime à développer tant dans ses mises en scène que dans les formations théâtrales qu’elle donne auprès d’un public des plus variés.
Principe de jeu toujours sous tendu par la question : « Qui suis-je moi, en regard des autres, pour l’autre, par l’autre? »
L’autre est un révélateur, un déclencheur d’identités, un support à être, il me parle de moi. L’acteur est un individu en résonnance.
Cette appréhension passe par la connaissance d’un corps conscient de ses richesses, possibilités d’expression, un corps bougeant, mouvant, émouvant, avec ses articulations, ses logiques internes, organiques, sa mémoire, ses traces, ses empreintes. Il est la mémoire vivante de tous nos mots. Nos maux.
Je pose la question du regard comme élément essentiel du processus d’identification. Nécessaire à la fiction à créer ensemble. L’acte de création est un acte de mise en miroir. Réfléchi. Et réfléchissant.
Réalisations et Récompenses
Grand’ Peur et Misère du IIIe Reich, a été récompensée de l’Arlequin d’Or et du prix du public au festival des Arlequins de Cholet , du premier prix au Festival de Maisons-Laffitte, de la Tour d’Or au festival FESTHEA et du prix Jeune Public au Grand Prix Charles Dullin (2007-2010).
Grand’ Peur et Misère du IIIe Reich
La pièce de Bertolt Brecht nous dépeint en 24 scènes l’Allemagne des années 1933 à 1938.
Dans chacun de ses tableaux, à chaque fois sous un éclairage différent, Brecht aborde la question du nazisme, et tente de démontrer comment il a nourri et s’est nourri de nos peurs naturelles dans toutes les situations humaines, dans tous les milieux sociaux.
En effet, quel est ce peuple que l’on accuse, à tort ou à raison, de n’avoir su en son temps résister à la peur ? La mise en scène met l’accent sur le travail choral. Il n’y a aucune sortie de scène, les huit acteurs formant un choeur en présence permanente.
Distribution
- Micheline Carayon
- Catherine Dagorn
- Jean-Michel Cirba
- Benoît Gauthier
- Audrey Jegousse
- Agnès Roegel
- Nathalie Tutrut
- Muriel Tiar,
J’ai choisi 8 scènes de « Grand’Peur et Misère du IIIe Reich », parmi les 24 existantes, qui alternent avec un travail de mouvements chorégraphiques, ainsi qu’un travail sur la langue allemande.
Le plateau est nu. Deux chaises et trois valises, les acteurs sont le décor. Les costumes sont réduits à leur plus strict minimum, pantalons d’époque, chemises sombres (rappel des chemises brunes), et bretelles rouge ou noires. La simplicité des décors et des costumes permettent de mettre l’accent sur la précision du jeu des acteurs, des langues du texte, et des situations.
Par ces choix de mise en scène, j’ai tenté de re-créer l’ambiance de cette Allemagne décadente des années sombres, en proie à une forme de disparition.
Lettre de Mr Paul-Louis Mignon du 15 novembre 2009
Pour Estelle Bordaçarre et l’équipe de la Compagnie Emoi
Chère Madame,
Je suis très sensible à votre lettre, car au cours de ma bien longue carrière, j’ai toujours eu le souci d’établir avec les auteurs, metteurs en scène, comédiens,des liens de compréhension de leurs recherches, tout en préservant la liberté du jugement critique. C’est la voie que Charles Dullin m’indiquait, discernant aussitôt que je ne serai pas comédien, mais le soutien de l’art dramatique. « Veilleur », « éveilleur », a bien voulu me qualifier une personnalité que j’estime.
Pour votre spectacle, mon adhésion est totale.J’ai été frappé, je vous l’ai dit, par l’ampleur, la profondeur, l’harmonie dans l’expression de la violence même du nazisme que l’œuvre singulière de Brecht vous a inspirée, grâce à la justesse des registres vocaux, gestuels, sonores et lumineux-cette invention saisissante du hurlement de la langue allemande traduisant si fortement l’odieux, indépendamment de la traduction littérale de ce qui était dit.
C’est cet équilibre fondamental dans la composition théâtrale que j’ai estimé essentiel de dégager pour aujourd’hui des leçons de Jouvet dans mon livre paru récemment aux éditions de l’Amandier : « Louis Jouvet, un homme de science du théâtre, des années d’apprentissage ».
Mais vous m’avez amené à parler trop de moi et j’ai eu le plaisir de vous adresser une forme de critique. Merci pour l’exercice.
Avec toute ma sympathie, Paul-Louis Mignon.