L'acteur en soi - Témoignage - De Hirac, neurobiologiste - Estelle Bordaçarre
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L’acteur en soi – Témoignage – De Hirac, neurobiologiste

L’acteur en soi – Témoignage – De Hirac, neurobiologiste

– Le 08/12/2016

Quand la pluie tombe, des milliards de gouttes d’eau lourdes viennent frapper le sol et l’eau. L’histoire la plus intéressante de cette nuée est celle de la première goutte qui touche la surface de ce lac d’un calme absolu, plat, tellement lisse qu’on devine à sa surface comme une fine couche immobile, dense. Cet effet d’optique est balayé par la première goutte qui casse cette croute. J’imagine la fusion lente, pas à pas, de la goutte d’eau de pluie avec l’eau du lac. Je vois un rebondi qui s’arrache et qui s’affaisse dans la masse liquide, d’abord pour fuir son destin puis incapable d’y échapper en se dissolvant. Une première frange circulaire se forme autour du point de contact et se propage dans toutes les directions. Cette rencontre aquatique et ce premier pulse sont pour moi les plus fascinants: ils sont là bien avant l’avalanche de fusions qui provoquent des bruits de clapotis arrivant dans la fraction de seconde qui suit.

Le mouvement nait de cette première poussée, il se propage avec force, une vaguelette microscopique se diffuse et fend la surface aqueuse. Rien ne l’arrêtera, si ce n’est la berge, bout de terre qui la renverra d’où elle vient, la rejetant vers la masse d’eau. Tu ne passes pas quel que soit le message que tu portes! Mais ce renvoi produit une force qui plonge à l’intérieur de la masse d’eau, comme si la vaguelette s’était retournée et qu’elle circulait à l’envers, tête en bas, en toute l’improbabilité mais donnant ainsi une perspective nouvelle à la masse H20, qui s’épaissit imperceptiblement et s’enrichit de mouvements nouveaux.
Pendant le voyage de cette toute première onde de front, un souffle nait, un souffle minuscule, fragile qui précède bientôt la vaguelette déplaçant l’air qui se trouve devant elle. Mouvement, souffle, eau. Merveilleuse triptyque que je retrouve dans mon plus profond.

Car nous sommes faits d’eau, de beaucoup d’eau. L’eau vitale nous baigne. Quand le mouvement et le souffle de l’eau entament leur vie en moi, avant même que je n’ai commencé le mouvement, à l’instant précis où j »imagine la chaine de mouvements que je vais créer et qui vont suivre, c’est l’image de la première goutte qui me revient, cette première goutte insignifiante qui précède les milliards de petits mouvements infimes qui vont m’animer, comme la pluie qui tombe sur le lac. Où se trouve cette première goutte en moi? Dans mon cerveau? mon coeur? mes viscères? Partout peut-être, mais je ne le sens pas dans mes muscles. Je sais que mon cerveau en mode imaginaire dira à cette première goutte courageuse « Tu ne passes plus bas quel que soit le message que tu portes! »  et que la phase de préparation du mouvement se fera sans mouvement, même si le souffle et l’eau internes sont présents. Ou peut-être que cette première goutte est simplement cette première larme qui vient de perler à mon oeil et qui fera son chemin en disparaissant sous les rides de mon visage? Une larme synonyme éphémère d’une émotion, qui serait à l’origine de l’imaginaire du mouvement.

 

– Le 27/11/2016

Pas à pas,
Souffle par souffle,
En dehors et en dedans,
S’ouvre mon corps,
Comme une fleur au printemps.

 

– Le 24/11/2016

Du mouvement, Abrupt, Accroché, Accompagné, Adjacent, Agacé, Ahuri, Altéré, Anatomique, Anodin, Antérieur, Apaisé, Arraché, Arythmique, Attaché, Attendri, Au milieu, Autre, À venir… Suivent alors toutes les lettres de l’alphabet, Pour le qualifier, Mais, je finis toujours Zébré De mouvements.

– Le 16/11/2016

Ivre de mouvements, Mon corps rayonne. Mon esprit scindé en particules, Je respire profondément.

 

Le 07/11/2016,

Au début était le mouvement. A la fin sera le mouvement. Pour l’instant, je dois le dérouler le plus lentement possible.

Je ferme les yeux. Je calme ma respiration. Je m’écoute. Silence.

Entamer mon geste, en catégorie poids lourd, me prend du temps. Mon bras, une tonne, je le sens comme si un gant de boxe me pesait et m’attirait au sol.

Mes souvenirs viennent cogner contre mes paupières closes. Je remonte le temps à toute vitesse, en entendant le son d’un magnétophone qui rembobine une vieille cassette.

Clack! Parfois des arrêts subits me figent dans des scènes de ma vie qui se déploient et renaissent en moi. Des décors de ville faits en carton pâte, Istanbul, Paris, New-York. Ils se plient et de déplient avec l’odeur et le son du vieux bois qui craque. Des intérieurs d’habitation s’enchainent, surtout des cuisines remplies d’odeurs de lait et d’épices puis arrivent des affiches géantes de visages connus collés sur des dirigeables rouge sang, des voix qui changent comme si on les faisait défiler sur des stations de radio. Et des sensations de chaleur et des cris de souffrance qui s’opposent aux éclats de joie. Ploufs de gros cailloux jetés dans la mer contre envol léger d’un galet qui tipe tipe en ricochet à la surface d’un lac.

Mon mouvement se développe. Le boxing interne continue en catégorie poids mi-lourd. Je m’esquive de peur d’être mis KO à la moindre touche. Il n’y a plus de vitesse. Tout est rapide et lent à la fois. Ça vibre. Ça secoue. Partout.

Tourné vers l’immensité de mon espace interne, je me laisse complètement envahir par les évènements de ma mémoire, sans résister. Souffle léger qui caresse mon visage, petite goutte de pluie qui tombe sur le bout de mon nez et qui fait gronder un tonnerre, loin, quelque part dans mes organes. Tension et relax dans les articulations. Des liquides circulent comme des marées, m’envahissent et se retirent. Le boom boom du rythme de mon cœur monte et descend en intensité. Famille, amis, amantes, rares Amours défilent et font place au dernier déplacement de ma main.

Derniers mouvements internes de lutte, catégorie léger. Je n’ai pas réussi à me voir de l’extérieur, comme l’œil d’une caméra qui suivrait mon corps en action lente. Je me concentre. Mes sourcils froncent sans que je ne le leur demande. Je me cherche activement mais c’est par surprise, qu’alors, mon esprit et mon corps se lient et se creusent, pour qu’en toute fin d’une dernière expiration, éclose comme une fleur au printemps après un long sommeil, dans mon nombril, un émoi.

 

– Le 01/11/2016

Dans les plis de l’origami formé par tes membres, Se dégage la musicalité de ton corps.